Le Minotaure

Passion : sciences

Bonjour Cyril, tu as choisi de nous parler de ta passion pour les sciences. Comment ça a commencé ?

Je ne saurais pas dire véritablement. Au collège, j'avais remarqué que j'étais "bon" en sciences mais je n'en ai pas fait une véritable passion. Cependant, j'ai remarqué que, de plus en plus, mon cerveau s'imprégnait de ce que j'apprenais en sciences et le transposait dans la vie de tous les jours (expériences, modèles mathématique, démonstration de phénomènes...).

L'exemple que je trouve le plus cocasse qui me revient est d'avoir imaginé une régression exponentielle pour approcher l'alignement des roues avant et arrière d'une voiture lors d'un créneau. Je pense que c'est à ce moment là (entre 17 et 18 ans) que j'ai compris que les sciences étaient devenues une passion malgré moi. J'en ai donc fait mon cheval de bataille dans le but d'en faire mon métier.

Aujourd'hui, j'ai 30 ans, je suis ingénieur mais j'ai aussi un Master 2 Recherche, un Doctorat en sciences de l'alimentation. J'ai absolument apprécié toute ma période d'étude (oui, la science est une passion dont il est facilement permis de se nourrir). Je suis éducateur spécialisé en sciences et je pratique donc tous les jours ma passion. J'essaie de la transmettre aux enfants. Imaginer des expériences pour expliquer/démontrer/mettre en évidence certains phénomènes est mon quotidien et j'adore ça !

Quelle place occupe la science dans ta vie quotidienne, indépendamment de ton emploi ? Est-ce que tu lis beaucoup d'ouvrages scientifiques par exemple ?

Je lis des publications scientifiques surtout (je suis abonné à Nature, Science et quelques autres gros journaux scientifiques). Le temps et les sujets qui y sont abordés me donnent le temps d'en lire une par semaine, plus ou moins. Après, j'ai tendance à mettre de la science partout dans ce que je fais, quand je cuisine, quand je jardine, quand je bricole etc. Je fais même des expériences non scientifiques pour le fun (du genre de celles qu'on pourrait faire en primaire ou au collège).

Est-ce que c'est facile de bien séparer emploi et vie privée lorsqu'on fait un métier passionnant ?

C'est impossible et ça empiète pas mal. Dans un sens comme dans l'autre : ce que je fais dans le cadre de mon emploi me sert chez moi, ce que je fais chez moi ou les trucs intéressants que je peux trouver durant mon temps de repos sont réinvestis dans mon travail.

Est-ce que tu as déjà raté des choses ou sacrifié quelque chose à cause de la science ? C'est que du bonheur ou il y a aussi des aspects négatifs ?

La science oblige à une certaine spécialisation. Je ne sais plus qui disait « Choisir, c'est renoncer » [c'est André Gide], mais c'est un peu ça. J'ai choisi de me "spécialiser" en biologie mais en agroalimentaire, ce qui fait que je conservais malgré tout des notions de base en thermodynamique et en mathématiques (surtout en statistiques). Bref, pour la science j'ai sacrifié de la science.

Après, je te dirais bien que j'avais des rêves de gosse que j'ai dû laisser tomber. J'avais mon groupe de musique, le sport que j'ai dû mettre de côté à cause de mes études (classe prépa). Mais j'ai kiffé ma prépa, à l'opposé de ce que d'autres peuvent dire ou avoir vécu.

Est-ce qu'il y a eu des rencontres humaines dans ta vie qui ont influencé ton rapport aux sciences ? (des profs, des chercheurs ?) Un événement fondateur ?

Je te parlerai de Mr Rocher mon prof de SVT de 3e qui était une incarnation de sciences décomplexées. Les sciences c'est facile et ça s'explique avec des mots simples tant qu'on y met de la rigueur. Et Mme Peyrugue, ma prof de maths de 5e et 4e, l'incarnation de la rigueur à l'état pur. Je pense que je lui dois mon amour des maths. Les maths c'est un jeu, interdit de tricher, mais quand quelqu'un t'explique bien les règles dès le début, c'est bingo !

Est-ce que tu n'aimerais pas faire toi-même de la recherche ?

Si, mais je manque de temps. Après le temps, ça se trouve, mais je l'utilise à autre chose. Disons que j'ai de nombreuses autres priorités. Mais tu peux voir un aperçu de mes travaux de recherches sur Google Scholar.

Pour terminer, quelques questions sur les liens entre sciences, technologie et écologie. Est-ce qu'un scientifique est forcément technophile ? Est-ce que tu penses que la technologie est nuisible écologiquement ou peut au contraire nous aider ? Est-ce qu'il est envisageable d'étudier la nature sans chercher à la transformer ? Et est-ce que c'est réaliste à une époque où les grandes découvertes en physique nécessitent des équipements technologiques massifs du genre accélérateurs de particules ?

Je pense que la science (et le scientifique) est amorale et apolitique. Elle observe, décrit, modélise, comprend un fait ; ou dans certains cas, émet une probabilité sur une affirmation. La science observe et interprète, son rôle s'arrête là.

Ce n'est pas elle qui se met des freins, l'éthique est une histoire politique et non scientifique. On ne peut pas reprocher à un scientifique de vouloir cloner un homme, c'est aux politiques (et aux politiques scientifiques) de mettre en place des lois et des contraintes réglementaires. Ce n'est pas à un scientifique non plus de décider de légaliser la GPA ou de dérembourser l'homéopathie ou encore de supprimer le glyphosate... Il apporte des faits éclairant, mais n'a pas à avoir d'opinion. Du coup, je répondrai simplement non à la première question. La science n'aime pas.

Parler de technologie ou encore d'écologie, c'est parler de politique de mon point de vue. Non, toute technologie n'est pas nuisible à l'environnement. L'homme qui a inventé la roue a réduit considérablement sa dépense d'énergie pour produire quelque chose. De même, on peut difficilement penser que le double vitrage est nuisible à l'environnement. Bon, je fais un peu l'idiot, mais la technologie étymologiquement signifie "étude de la technique".

Le problème n'est pas la technologie mais son utilisation et là on retourne sur un aspect politique. La démocratisation d'une technologie n'est pas un fait scientifique mais politique au mieux, marketing au pire.

Étudier la nature sans la transformer, je pense que tu parles de génie génétique, notamment des OGM. Quand on est dans le milieu génie génétique, on associe grossièrement un organisme (souvent une bactérie) à une "usine". Il y a le centre de production, les machines, la matière première, le process de production etc. Doit-on arrêter de fabriquer des usines, sachant que le risque d'accident n'est pas nul ? Je dirais que toutes les usines ne se valent pas. Je n'aime pas qu'on touche aux eucaryotes et particulièrement aux organismes pluricellulaires (on ignore encore trop de choses de mon point de vue). L'OGM c'est aussi, pourquoi pas, fabriquer une bactérie (une "usine") adaptée au milieu marin capable de manger le plastique. Je ne dis pas qu'il n'y a pas débat sur l'idée, mais l'OGM ce n'est pas que le maïs.

Pour les réacteurs à accélérateurs à particules, je ne suis pas le mieux placé pour répondre. Mais la science, comme toute activité, consomme de l'énergie. La question est de savoir si c'est "rentable" au moins écologiquement. J'ai l'impression que cette science n'apporte que des connaissances mais pas d'autres choses... J'ai donc l'impression que cette rentabilité est nulle et que (au moins pour l'instant) on devrait la cesser.